Thierry Rey : « Souvent, le père incite… et la mère gère la suite »

Thierry Rey a été le premier judoka français à la fois champion du monde et champion olympique. A 21 ans ! Il vient de rédiger sa biographie. C’est l’occasion de l’accompagner dans ce retour vers le passé et de se projeter avec lui vers les JO de Paris 2024.

 

Vos parents vous ont donné très jeune le goût de l’effort physique ?

Leur rôle a été essentiel et déclenchant. J’ai un père qui a toujours adoré le sport. Je me rappelle d’un « footing ». Je devais avoir cinq ans. Il ne m’a pas fait courir longtemps, il a juste voulu que j’éprouve des sensations. Après, il n’a eu de cesse de m’inscrire à des clubs divers et variés. Il me disait qu’il fallait tout essayer. J’ai fait du tennis, du basket, très longtemps du football. Et puis il m’a fait découvrir le judo. Sous le regard bienveillant de ma maman, bien sûr.
C’est souvent de cette manière que cela se passe. Le père incite… et la mère gère la suite. Elle assure l’intendance. C’est elle qui me conduisait aux entraînements et qui venait ensuite me rechercher.

Dans votre livre, vous avez l’air de dire qu’ils vous ont laissé tenter vos expériences.

Absolument. Ils m’ont ouvert des portes. Mais quand j’ai commencé à éprouver cette passion pour le judo, ils m’ont laissé suivre ma voie. Le dimanche, ils étaient là pour assister à mes compétitions. Ils m’encourageaient. Ils étaient présents à Moscou quand je suis devenu champion olympique. Ils m’ont accompagné, mais sans avoir le côté pervers de ceux qui interviennent de trop. J’ai eu la chance de ne pas avoir des parents étouffants.

En même temps, quand vous aviez treize ans, votre père vous a prédit : « Un jour, tu seras champion olympique ». C’était, quand même, une forme de pression ?

Je ne l’ai pas ressenti comme ça. C’était très étonnant. Il me l’a dit en toute simplicité, comme s’il formulait une évidence. Pour moi, cela a été un révélateur. C’est là que j’ai commencé à intégrer cet objectif. Mais, avant tout, j’ai considéré que c’était une magnifique marque de confiance. Je me suis dit : « Putain, mon père, il croit cela. C’est dingue ».

Cela a fait naître une ambition que vous n’aviez, peut-être pas, au départ ?

Si, si, je l’ai eu très tôt. Dès le jour où j’ai disputé les championnats de France benjamins au stade Pierre de Coubertin à Paris. J’avais 11 ans. J’avais la volonté de me révéler, de vivre, d’exister par le sport.

Et quelle a été la place de Bernard Tchoullouyan, votre entraîneur ?

Je suis vraiment très ému d’en parler car j’ai appris son décès il y a quelques heures. « Tchou », c’était comme mon grand frère. J’avais 15 ans. J’allais passer ceinture marron. Il était pensionnaire à l’INSEP (L’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance où sont formés et où se préparent la plupart des champions français). J’habitais à Lagny, en Seine-et-Marne, à 27 km.
A l’époque, les internationaux, malgré leur statut, avaient besoin de gagner leur vie. Ils donnaient des cours. Mon club l’avait recruté. Il était présent le mardi et le vendredi. Je l’ai eu comme professeur de 15 à 18 ans. Ce mec m’a façonné, Il m’a donné les clefs. Un jour, j’ai gagné une compétition nationale et j’ai été sélectionné en équipe de France avec lui. Il était mon maître, mon mentor. Il est devenu mon ami, mon frère. Toute sa vie, il a révélé des judokas. Et il en a accompagné certains jusqu’au sommet. Lucie Decosse (trois fois championne du monde, et championne olympique en 2012) et Morgane Ribout (championne du monde en 2009) lui doivent une partie de leur réussite.

Un sportif de haut niveau peut-il avoir une adolescence normale ? Même si, apparemment, il vous arrivait de faire la fête ?

Non, moi j’ai découvert les plaisirs de la fête bien tard, après avoir remporté mes titres. C’est seulement à ce moment-là que j’ai découvert la vie parisienne. À 17 ans, je n’avais encore jamais franchi le seuil d’une boîte de nuit. Dans le livre, je raconte ce qu’était notre vie à l’INSEP. Nous ne buvions pas, nous fumions peu. Après, j’ai eu tout simplement envie de vivre les choses de mon âge, d’être « normal ».
Mais j’étais judoka avant tout. Je voulais gagner et je savais par quoi cela passait. J’avais des objectifs parce que j’étais passionné. En fait, c’est la passion qui dirige tout. Et je crois pouvoir dire, en toute sincérité, que j’ai éprouvé le même bonheur intense d’être champion d’Île-de-France minimes que d’être champion olympique. Gagner à 13 ans, c’est se révéler à soi-même. Avant, j’ignorais ce que j’étais capable d’accomplir. Le sportif est toujours à la hauteur de sa propre victoire. Il n’y a que le nom de la compétition qui change.

Votre fils fait-il du sport ?

Non. Pas vraiment Il a pratiqué le judo et s’est frotté à plusieurs sports. Mais je n’ai absolument pas voulu « l’emmerder » avec mes histoires. Il a sa propre route à tracer. Et puis, il habite Paris. Vous n’y avez que rarement le sentiment d’appartenance à un club. Vous ne disposez souvent que d’un créneau horaire pour vous entraîner. Moi, j’avais la chance de vivre dans une petite ville de banlieue. J’avais accès à tout ce qui est important autour de la notion de sport : les amis ; les déplacements tous ensemble pour aller disputer des compétitions ; l’amour du maillot et la fierté de porter les couleurs locales…

Considérez-vous que le champion a une obligation morale de transmettre, de rendre au sport ce qu’il lui a donné ?

C’est une question de désir ou de voie personnelle. Tout dépend de la motivation. Moi, par exemple, je n’ai jamais voulu être entraîneur. Mais j’ai tenu à transmettre autrement. J’ai monté et présidé des clubs, accompagné des champions sur le plan psychologique, ce qui était vraiment enrichissant. Ce sont des êtres à part, très séduisants. Mais ceux qui ont envie de changer d’horizon après s’être impliqués pour leur sport durant de longues années en ont le droit le plus absolu.

Au sein du Comité d’Organisation des Jeux de 2024, vous êtes en charge de la mobilisation des territoires. En quoi cela consiste-t-il ?

Il s’agit d’aller partout sur le territoire national, à la rencontre des élus locaux et des responsables associatifs. Il faut absolument que les Jeux ne concernent pas uniquement Paris et l’Île-de-France. Et leur influence ne doit pas se limiter à l’évènement organisé en 2024. Il faut que partout, les Françaises et les Français, sportifs et non-sportifs, quels que soient leur âge ou leur milieu, puissent s’approprier les Jeux. Olympiques et Paralympiques. En fait, les JO sont un « prétexte » extraordinaire pour que la thématique « Sport » imprègne plus encore notre société. Qui en a sacrément besoin, me semble-t-il.
Tous ensemble, avec les élus des territoires et le mouvement sportif, nous allons porter des dispositifs et décerner des labels pour que chaque entité ou chaque individu puissent s’impliquer dans Paris 2024.

Alors la diminution du budget du ministère du Sport n’est pas un obstacle ?

Bien évidemment, on peut s’étonner de ce fait, au moment où nous allons organiser les JOP, la Coupe du monde de football féminin en 2019, la Coupe du monde de rugby en 2023. Alors que la France est championne du monde de football chez les hommes, de handball chez les femmes, entre autres. Et que le sport est reconnu pour ses valeurs tant éducatives que pour les problématiques de santé, notamment en ce qui concerne la sédentarité par exemple.
Mais la force du sport français vient de ses territoires. Les régions, les départements les communes portent le sport au quotidien. Avec le concours des fédérations et de leurs clubs. Et de leurs cadres techniques…

Grâce aux bénévoles…

Bien sûr, grâce aux bénévoles, sans qui le sport en France n’existerait pas. Cette passion, cet élan des Français doivent se démultiplier. Paris 2024, va aussi servir à cela.

Recueilli par Patrick Fillion


Les sept vies de Thierry 
La réussite de Thierry Rey, ce n’est pas seulement d’être devenu un des plus grands champions du judo français. C’est aussi d’être parvenu, ensuite, à se reconvertir avec brio. Les journalistes sportifs l’avaient surnommé « le Chat ». Comme cet animal, il a eu sept vies… professionnelles.
Rien ne le prédestinait à écrire ses mémoires. Jusqu’à ce qu’un grave problème de santé l’incite à jeter ce regard attendri dans le rétroviseur. Un livre très agréable à lire.
Thierry Rey, « Sept vies », éditions Stock. 19,50 €.