Le sport « Under pressure » ?

Le monde de la gymnastique s’est senti dérouté par la sortie prématurée de Simone Biles, lors des derniers jeux olympiques. Pour autant la jeune femme, loin de décevoir l’opinion publique, semble au contraire avoir gagné la médaille d’or de tous les courages en osant dénoncer l’insoutenable pression qui guette tous les sportifs de haut niveau. Ce faisant, elle humanise les champions toutes catégories, suscitant en chacun de nous un sentiment de proximité : eux aussi sont donc capables de craquer… 

 

Ainsi exécuter un triple salto, un 100 mètres, ou encore un match en 5 sets sous le regard critique et implacable de millions de téléspectateurs ne serait pas sans conséquences pour les athlètes. Derrière le show et la performance, on ne trouve pas des personnages de fiction ou des supers héros invulnérables. Derrière les sentences de certains commentateurs sportifs, il y a des espoirs brisés, des heures et des heures de travail, des sacrifices. Derrière la fierté nationale, il y a tout simplement des hommes et des femmes. Souvent très jeunes.

En déclarant ressentir « le poids du monde sur sesépaules », « la peur de décevoir, et de se blesser physiquement », Simone Biles nous tire hors de nos rêveries : force est de constater que le triptyque sport, plaisir et épanouissement ne s’articule pas toujours aisément. Avant Biles, Marie-José Perec avait renoncé à courir, de peur de (se) décevoir et Michael Phelps, quant à lui, a souffert de dépression tout au long de sa grandecarrière.

Qu’est-ce qui vient donc tourmenter nos champions ? Souffrent-ils d’un mal particulier ? Ou sont-ils, comme chacun d’entre nous, pris dans une histoire familiale, un environnement socio-culturel avec lequel il faut composer ? Des hommes hors du commun par leur parcours mais bien ordinaires par les conflits psychiques qui les agitent : entre désir et défense, entre principe de plaisir et principe de réalité ?

Et si tout commençait par la façon dont on présente les choses à nos enfants ? 

Pourquoi désirer que son enfant commence la pratique d’un sport ? Pour qu’il se fasse des copains ? Qu’il consolide son expérience du collectif ? Qu’il ne s’ennuie pas à la maison ? Qu’il expérimente le plaisir de faire avec son corps et sa tête ? Qu’il développe le goût de l’effort, du challenge et qu’il se dépasse ? Qu’il éprouve la fierté de gagner, peut-être un jour, une compétition ?   

Dans nos consultations auprès des familles, nous incitons très souvent les parents à enrichir la vie de leurs enfants d’un sport et /ou d’un instrument de musique. La rigueur, la persévérance et la satisfaction qui en découle sont souvent des acquis pour la vie. « Quand je stresse trop pendant des missions longues, je me remets à faire du vélo ou à jouer au volley avec les copains, et tout s’équilibre en moi », explique Julien. « Courir, jouer au tennis et travailler mon violon chaque jour me donne la satisfaction d’investir ma vie », souligne Jean-Philippe de son côté.

Le sport un adjuvant, une médiation, sur la route du bien-être.

Et puis certains se découvrent en plein cœur de l’exercice. « J’ai su instantanément, dès le premier cours, c’était l’évidence. La GRS est devenue ma passion, je n’ai vécu  que pour ça durant toute mon enfance et mon adolescence ! Les compet’, l’équipe, c’était toute ma vie. Nous avions un bon niveau, ma chambre était décorée de coupes et de médailles. Tant que je travaillais bien à l’école et que j’étais agréable à la maison, mes parents n’y voyaient pas d’inconvénient. Je crois même que ça les rendait fiers. » se souvient Sophia, aujourd’hui architecte d’intérieur.

Mais qu’en est-il lorsque les motivations des parents font du hors-piste ?

Dans son autobiographie Open, André Agassi racontece père débordant d’ambition pour son fils. Agassi dépeint une enfance marquée par l’acharnement d’un père dysfonctionnel prêt à tout pour que son fils réussisse. Pour qui, pour lui ? Et qu’entend-t-on par « réussite » lorsqu’André Agassi explique ne jamais avoir aimé le tennis…

Après un tournoi où il termine deuxième mais durant lequel il obtient le trophée du fair-play, son père l’humilie en brisant le prix devant ses yeux. Gagner et rien d’autre, sans le substantiel plaisir, comme manger sans le goût et l’odorat.

Il ne s’agit plus de sport ici, ni de réussite d’ailleurs. La pression décrite nous invite du côté de la psychopathologie.

Un narcissisme maladif, une revanche sociale, un besoin de réparation, un environnement carentiel… autant de travers familiaux qui peuvent faire du sport un espace d’effroi plus que d’épanouissement. Un espace où le désir de l’enfant (qui n’a parfois pas même le temps d’éclore) est spolié par celui de ses parents. Dessituations que l’on rencontre sous d’autres habillages : les études, la beauté, l’argent…

Par son aspect médiatique, le sport potentialise plusieurs dérives. Quand tout se mélange, l’amour, la réussite, les enjeux financiers…quand on n’y voit plus clair, warning !

L’entraineur devra souvent jouer la fonction de modérateur, ce que le deuxième parent a parfois du mal à incarner. S’il est au clair avec ses propres aspirations, il saura, pareil à un éditeur, accompagner son poulain dans la réalisation de son talent, en l’aidant à conjuguer performance et épanouissement, équilibre physique et psychique. En étant capable de ralentir la cadence si nécessaire, le temps des premiers cinés, du bac, le temps de se construire et de vivre sa vie d’enfant et d’adolescent.

Lorsque l’on flirte avec les plus hauts sommets, que l’on pousse ses limites à l’extrême, la ligne est ténue entre puissance et déséquilibre. Pour autant, si les assises sont stables (un environnement sain, une construction psychique qui a pu épouser la trajectoire attendue, un corps préservé), l’on saura faire les bons choix, faire face aux déceptions et à la peur de l’échec. Plus encore, on saura rebondir pour se réinventer le moment venu.

Et de ce parcours sous pression, tout à fait exceptionnel, on sortira la tête de l’eau encore plus fort et prompt à conquérir tous les bassins du monde !

No pressure, just pleasure !

 

 

Eve PIOROWICZ
Psychologue Clinicienne & Psychanalyste
Praticienne en cabinet de ville à Paris
Spécialiste référente pour « La Maison des Maternelles » et « Ensemble c’est mieux » France télévision
Co auteure de « Bébé dis-moi tout ! » aux éditions Leduc